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Les empoisonneuses de la Cannebière

Le jour de mes 5 ans, à l'époque où tout le monde avait une tapisserie orange avec des motifs marrons, ma mère m'emmena au kiosque à sandwiches de mes tantes, non loin de la Cannebière.


Des figures, mes tatas ; Ginette, la plus âgée, menait soeurs et nièce, d'une main de maîtresse femme.
Dès qu'elles me virent, leur seul souci fut que je ne meure pas de faim ; c'est vrai que je devais faire pitié avec mon ventre rebondi...
"Oh qu'elle est belle cette petite, té prends une crêpe ma chérie..." ! Ma main attrapa cette merveilleuse crêpe au sucre, toute chaude... Et au moment où j'allais y planter mes dents de lait, ma tante Anna la plus jeune de la famille, m'emporta dans ses bras, plus loin, et jeta l'objet de mon désir dans le caniveau...
Je partis en crise de larmes et hurlements, ma tante Anna m'en promit une autre... meilleure...


Je ne le sus que plus tard. Le seau à pâte à crêpe, servait, aussi, de bassinet pour soulager toutes mes tantes. Elles le rinçaient à peine, juste avant d'y refaire des crêpes. Il n'y avait pas de toilettes dans ces kiosques, et les mains des mes tantes voyaient moins l'eau qu'un marin d'eau d'eau douce ou un pilier de bar...


Des clients intoxiqués se risquaient parfois à venir se plaindre, mais ils se faisaient sortir comme des malpropres.
" Et lui non...? Nous des empoisonneuses ??? Et ta tronche, elle est pas empoisonnée ...? " ...
Ou  autre " Va te faire une soupe d'esques (1), espèce de stoquefiche (2)", le tout proféré d'un ton assez ferme ...
Cela suffisait à effrayer les plus coriaces.
Les intoxiqués plus graves devaient probablement mourir...

 

C'était un temps où mauvaises cuisinières et empoisonneuses pouvaient couler des jours heureux et vendre des pan bagnats avariés ou des crêpes pisseuses, sans être inquiétées par la DSV ou les associations de consommateurs.



Je crois toutefois, qu'elles ont, bien malgré elles, contribué à la solide réputation des mauvaises tables marseillaises.


Il faut dire qu'avant la cuisine ça avait une autre saveur !!!

(1) esque : vers servant d'appât de pêche (de l'occitan Esca).
(2) Mot dont l'origine, pour une fois, viendrait du grand Nord : stockfish, poisson séché. Un stoquefiche, c'est quelqu'un dont la maigreur fait penser à cet animal (un poisson séché est plat) : “Regarde-la, elle ; je sais pas ce qu'elle mange, mais c'est un vrai stoquefiche !”

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